Les Archi-Fictions (A+F) de Montréal est un événement qui explore les passerelles possibles entre la fiction littéraire et l’architecture. Pour cette première édition, six équipes formées d’un romancier et d’un architecte travaillent en duo à élaborer une ville invisible. Les architectes en font le rendu qui sera exposé en galerie, et les écrivains en tirent un récit. Les six textes inédits font l’objet d’un spectacle de lecture.
La formule de laboratoire appliqué, qui consiste à faire travailler par équipes de deux, et sur plusieurs mois, un romancier et un architecte, des créateurs forts et brillants mais de disciplines étrangères, a créé des rencontres clés, conduit à la création d’œuvres magnifiques, qui ne sont pas une fin en elles-mêmes, mais plutôt le début d’une grande aventure.
Les A+F est un événement phare, emblème des projets artistiques novateurs dont MONOPOLI (actuelle Maison de l’architecture du Québec) tire son caractère. Il insuffle un vent d’imagination et d’échanges pluridisciplinaires à des thématiques à portée universelle, même si elles concernent au plan du métier les… « aménagistes » professionnels.
Présentations des participants, des textes et installations :
EXTE avec Monique LaRue + Anne Cormier (Atelier Big City)
Dans la ville imaginée par Monique LaRue et Anne Cormier, il n’y a pas d’espaces intérieurs. La promenade est devenue culture dominante, vertu cardinale, au sein d’un réseau infini de routes et ruelles, et la vie en société se déroule en marchant à pied. Utopie suprême, où se cultivent les beautés nomades de la danse, de l’élégance en mouvement, et des langages multipliés, Exte ne connaît ni les portes, ni la jalousie, ni la possessivité, ni bien sûr la guerre. Mais à deux pas, une autre ville qui est son contraire, prisonnière d’un manteau de glace, couve le germe de l’anti-utopie…
L’installation : une base construite d’où s’élance au mur une image composite, de 8 pieds de haut, représentant un réseau de chemins vertigineux à multiples échappées, niveaux et horizons. Orange, bleu, rouge, les couleurs vives typiques de l’Atelier Big City, expriment l’optimisme de cette utopie.
VERS-VILLE avec Mathieu Arsenault + Philippe Lupien (Scheme consultants)
Dans la ville des signes de Mathieu Arsenault et Philippe Lupien, c’est le verbe qui a pris le pouvoir. Les mots et les phrases, la typographie et jusqu’à la matière textuelle vivent en telle symbiose avec la cité que les places et les avenues, et le flux de la circulation, sont dictés dans leur forme même par les règles de grammaire et de ponctuation. Paraphrase en sculpture du projet même des Archi-Fictions, Vers-ville est le résultat d’un échange rieur et bienheureux entre l’architecte et l’écrivain, et Mathieu Arsenault en raconte les péripéties dans sa «nouvelle» en forme d’échanges courriel entre lui-même et Philippe Lupien.
L’installation : sur une base évoquant la presse de Gutenberg, une souche d’arbre a été sculptée à partir d’une plaque typographique, avec une toupie industrielle reconditionnée spécifiquement pour le projet. Lorsqu’on s’en approche et la surplombe, le regard découvre une vaste cité grouillante de perspectives et de signes, entièrement construite au moyen de codes typographiques, lettres, ponctuation. Discours et ville, texte et maquette ne font plus qu’un.
DÉCADANSE avec Elisabeth Vonarburg + Peter Fianu (Atelier Braq)
La ville serait un Montréal du futur où la spécialisation des quartiers s’est rigidifiée en zones étanches, où les castes de la société se développent sans échange aucun avec leurs voisines, sous le pouvoir dominateur d’une hiérarchie implacable. Mais des bandes d’insoumis, les anarckers, perturbent les codes d’accès et tout le système des passages d’une zone à l’autre. Ce matin-là, un citoyen, pliant sous le poids de la routine, cette autre en chemin pour la zone «collège» et perdue dans ses pensées, se retrouvent dans une zone dont ils ignoraient l’existence. Alors, à l’échelle du quotidien au moins, les yeux se décillent et le pouvoir pourrait bien changer de camp…
L’installation : une grille évoquant une trame urbaine régulière couvre la vitrine de la façade de 600 cubes de mousse isolante bleue. De profil, c’est le relief d’une ville tentaculaire; de biais, on reconnaît une silhouette humaine. Ce jeu optique insiste sur le passage du dehors indiscipliné, au dedans réglementé, et sur la guerre perpétuelle entre le pouvoir à l’échelle macro… et les micro-ruses par lesquelles l’individu, l’humain, refait surface, à l’échelle de son quotidien, échappant aux mailles du filet.
AMN avec Jean-François Chassay + Nicolas Reeves
La ville de Jean-François Chassay et de Nicolas Reeves est un Montréal Atlantide, qui baigne dans un flot continu, où Saint-
Laurent est à la fois rue et fleuve, où l’on fait escale à la nage, l’œil fixé sur l’horizon, où le liquide et le solide, tous deux couleur de miel, ne sont plus tout à fait distincts. Dans cet univers, l’homme-grenouille, le citoyen-plongeur navigue entre deux eaux, sous la férule des pouvoirs installées sur l’entrepont, en attendant la découverte des abysses et… sa remontée triomphale.
L’installation : à l’intérieur d’un aquarium (3 pi x 2 pi x 1 pi et demi) dans une huile isolante couleur de miel, baigne une structure fractale abstraite, faite de polymère couleur miel aussi, qui reprend en condensé les trames des rues de Montréal à diverses époques. Un réseau de lumières diodes se déclenche en réaction à des stimuli extérieurs, pour la révéler au regard.
MIKADO avec Nicolas Dickner + Pierre Thibault (Atelier Pierre Thibault)
La ville de Nicolas Dickner et Pierre Thibault est à l’image d’un jeu de mikado, en perpétuelle décomposition et recomposition. Diaphane, insaisissable, en état d’apesanteur, elle est faite de ces terrains vagues et autres zones désaffectées, de tous ces non-lieux dans la ville que sont les anciennes adresses d’où l’on a déménagé. Au cours d’une nuit initiatique qui la promène à travers la ville, et à mesure que disparaissent les bâtonnets de son passé, une belle joueuse de mikado découvre les charmes du dépouillement, ou en clair, de la liberté.
L’installation : d’immenses feuilles de papier translucide pendent du plafond pour former un labyrinthe fragile d’espaces minces où le visiteur est convié à se faufiler. Croquis de Pierre Thibault et extraits du texte de Nicolas Dickner y dessinent un réseau d’images