Avec ses intrigantes « Machines à paysage », le groupe de recherche de l’architecte et professeur GianPiero Moretti développe une démarche rigoureuse et originale par laquelle les formes sculpturales du projet sont puisées dans les attributs du paysage. Vidéos, planches et murs-sculptures d’une merveilleuse subtilité nous en racontent les étapes.
Quand le mur se fait espace public Les lieux délaissés, les friches, les espaces de transition, ce que Gilles Clément nomme le « Tiers Paysage », sont des lieux encore peu investis par les architectes et architectes du paysage. À ce chapitre, le travail de GianPiero Moretti fait fi gure d’exception. La démarche imaginée par le professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval permet de favoriser l’appropriation de l’espace tout en préservant son caractère riche et spécifique. Dans un premier temps, un relevé détaillé du site (ici, une carrière abandonnée de la Côte-de-Beaupré) est réalisé, menant à une cartographie des différentes strates du paysage : topographie, végétation, textures du sol, ruisseaux et traces d’anciens bâtiments. Les diverses ambiances sonores, visuelles et olfactives sont également documentées. Ensuite, GianPiero Moretti et son équipe d’assistants de recherche puisent dans cette somme de données afin d’élaborer les creux et cavités pratiqués dans neuf murs poreux qui ponctueront le paysage avec pour objectif d’en encourager l’appropriation par les promeneurs. À travers ces interventions, qualifiées « d’architecture faible », le mur perd sa fonction traditionnelle de limite et devient plutôt un « embryon d’espace public ». Les grandes maquettes des murs poreux, réalisées à l’issu de ce processus, sont absolument magnifiques !
L’exposition Machines à paysage présente une vingtaine de maquettes spectaculaires et sculpturales des neuf murs poreux conçus dans ce cadre. Réalisées à diverses échelles (de 1 :5 à 1 :20) et à partir de plexiglas translucide ou de bois, ces pièces pourraient constituer des oeuvres artistiques en soi tant sont gracieuses les courbes sculptées dans le module de base du mur. Vidéos et planches détaillent chaque étape de la démarche créative.
GianPiero Moretti explique :
« Le lieu investi par le projet est celui d’une ancienne carrière adjacente aux vestiges d’une briqueterie démolie. Une opération de relevé stratigraphique, presque archéologique, permet d’en comprendre la structure spatiale, depuis sa topographie, en passant par sa végétation, jusqu’à la représentation de ses différents environnements olfactifs et sonores. Par la suite, une série de neuf interstices particuliers,
révélés par la fréquentation et l’étude du site, sont choisis comme lieux d’implantation des murs poreux. Ces objets sont envisagés comme des sortes de refuges, des éléments où le nomade urbain peut se poser. Le mur poreux permet ainsi de mesurer le rapport qui s’établit entre soi-même, son propre corps et le paysage ouvert. Au départ du processus, chaque mur est un monolithe de dimensions constantes (0,8 x 2,4 x 12 mètres) qui est déformé, percé, excavé par les tensions perçues dans le paysage et par les différentes possibilités et exigences de l’habitat minimal.
Tel un média, le mur poreux permet de créer un lien entre l’espace ouvert et le sujet. Le mur, élément qui délimite habituellement l’espace habitable, devient lui-même lieu habité en même temps qu’il se libère de sa condition de « limite » en se fusionnant avec l’espace du paysage qui le contient. Celui qui y habite se trouve donc en contact avec le paysage qui l’entoure, au creux d’un objet-intervalle. »
(Citation tirée de « Habiter la friche, des machines à paysages », in Revue Inter, Art Actuel, no 111, p. 53.)
Biographie
Diplômé de l’École Polytechnique de Turin en Italie (« laurea in architettura ») et de l’Université McGill (PhD en urbanisme), GianPiero Moretti est professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval depuis 2003. Spécialiste de la morphologie urbaine et des ensembles commerciaux, il enseigne le projet architectural et urbain, en portant son attention sur les milieux résidentiels, les paysages, les espaces délaissés, de même que les espaces publics contemporains. Il est co-directeur du Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur les Banlieues (GIRBa). Parallèlement à ses activités académiques, GianPiero Moretti pratique l’architecture avec Anne Vallières depuis 1995 et développe des projets au Québec, en France et en Italie. Leurs projets marquants comptent le réaménagement de l’Îlot des Palais à Québec (lauréat du prix d’excellence 2007 du magazine Canadian Architect), l’usine Trabaldo Togna en Italie et le chalet du Lac Aylmer (Prix Marcel-Parizeau 2003 de l’Ordre des architectes du Québec). Le travail de GianPiero Moretti est largement diffusé par des publications, expositions et conférences au Québec, au Canada, aux États-Unis, en France, en Belgique, en Italie et en Suède.
Crédits photos: @alainlaforest @gianpieromoretti