Par Katherine Lapierre
Peut-on parler d’architecture “brute” comme on le dirait de l’art brut ? Outsider, en marge, naïve… Depuis des années, Katherine Lapierre a réfléchit à la question, et la met elle-même à l’épreuve. Voyez comme sa tour à la Dubuffet, sa maison montréalaise, ses fenêtres aux jalousies se catapultent pour composer d’improbables concrétions de typologies antagonistes, et nous emporter doucement dans d’étonnantes fictions construites.
La MAQ a ouvert son espace aux intrigantes architectures outsiders élaborées par l’architecte Katherine Lapierre en maquettes géantes, croquis et dessins. Une entrée dans le labyrinthe de la tour mystérieuse, à grimper au toit du triplex à nuage… ! Et si c’était vrai ?
Il s’agit ici d’une exploration qui cherche à percer les mystères de l’architecture sans architecte, de l’architecture sur le tas, tâchant d’y déceler le principe qui se tapit sous l’impulsif. C’est dans le cadre de recherches doctorales que Katherine Lapierre (maintenant enseignante à l’Université de Montréal) s’était lancée à la poursuite d’exemples réels d’auto-construction, pour en tirer un répertoire et une analyse savante. Mais en route entre Palais idéal et Maison Unal, l’artiste en elle se prit de passion pour ces doux-rêveurs en marge des normes, qui bâtissent leur cocon de béton ou de coquillages en suivant leur propre logique. Se prenant au jeu du balsa, du plâtre, du fil de fer, de l’auto-construction outsider… en chambre, dans le secret de son atelier, voilà l’artiste Katherine Lapierre qui marche sur les traces de ses modèles et même, parfois, les précède ! Des mondes, des idées, ainsi s’échafaudent, dans un aller-retour obsessionnel, qui nous est révélé. Profitons du privilège !
Katherine Lapierre explique :
L’architecture dite outsider représente à la fois une mine d’informations et un thème de recherche sur « l’art de bâtir » au-delà des normes, des règles, ou encore des conventions esthétiques. Selon Jean Dubuffet, l’idée de beau substituée à celle d’intéressant ou de fascinant véhicule la visée proprement culturelle d’une primauté […]. Beau veut instituer un mode qui devienne la loi du groupe ; beau veut statuer et veut exclure. Beau transporte une implication communautaire ; beau est un ordre qui m’est donné, un filet dans lequel on veut me prendre pour empêcher que mon esprit aille s’exalter où bon lui semble.
Le projet d’exposition Outsider comprend trois prototypes représentés en dessins et en maquettes. Ce travail permet d’investir des méthodes de représentation mises de côté par la pratique architecturale. La logique de construction devient autre et souligne la création d’espaces qui suit des méthodes de conceptions empiriques puisées au champ de l’architecture. Le travail de maquettes est un laboratoire d’explorations formelles. La perception du temps à travers l’actualisation du projet est sans commune mesure avec les échéanciers imposés à l’architecture contemporaine. À l’image de l’architecture de maisons bulles issue d’une collaboration entre sculpteur et architecte, comme l’exemple de la maison Unal en Ardèche en France, par le couple Haüsermann-Costy et Joël Unal ; les maquettes sont réalisées en collaboration avec Jérôme Ruby.
Accompagnant ce travail, est présenté le « Catalogue raisonné d’architectures outsiders » réalisé dans le cadre de recherches doctorales, sous la direction de Nicolas Reeves. La thèse souligne des liens entre des oeuvres monumentales lues selon les grandes lignes de la théorie de l’architecture et des courants d’art (art naïf, expressionnisme, surréalisme, CoBrA, art brut). Le catalogue raisonné regroupe un ensemble d’oeuvres réalisées en auto-construction. Ces exemples, le plus souvent situés en milieu rural, échappent aux diktats structuraux et esthétiques de leurs temps, partagent des principes fondamentaux de l’architecture et, déterminent un pôle à la fois vernaculaire et centré sur l’imaginaire. Le potentiel qui s’en dégage est celui de lieux d’expérimentations libres, nécessaires à l’enrichissement et à la vitalité de la discipline. La documentation visuelle qui regroupe des oeuvres et des sites visités au Québec, en France et en Belgique, comporte des photographies, des dessins, et des plans. Les architectures outsiders s’imposent face à l’architecture contemporaine comme modèles d’une architecture individuelle et sensible à la nature humaine. »
Biographie
Docteure en études et pratiques des arts (UQAM), Katherine Lapierre est architecte de formation et chargée de cours à l’école d’architecture de l’Université de Montréal. Elle est également spécialisée de maîtrises professionnelles en paysage et en histoire et théorie de l’architecture (Westminster et McGill). En concentrant sa pratique sur la recherche, elle obtient plusieurs prix, bourses et résidences en architecture depuis une dizaine d’années. Son travail a été présenté à la British School at Rome, au Centre des arts actuels SKOL à Montréal, à la SAT, au Centre de Design de l’UQAM, ainsi qu’à la galerie Axenéo7 à Gatineau.
Crédits photos : @alainlaforest @jerômeruby